Mémoire des luttes des travailleurs immigrés dans Odysséo
Le 07/02/2018 à 10h45 par Génériques
Résumé

Odysséo effectue un panorama des ressources concernant la mémoire des travailleurs immigrés, mettant en exergue ainsi leurs revendications (salaire égal, carte de travail, droit à la formation) ainsi que leurs combats face à l'insalubrité des conditions de travail.

Mobilisations contre les discriminations dans les années 1970

En 1968, la France compte près de trois millions d'immigrés, dont une grande partie travaille dans le secteur industriel comme l'automobile, le bâtiment et la métallurgie. Les travailleurs immigrés participent aux grandes grèves des années 1970 qui animent les usines Chausson, Renault, General Motors ou encore Margoline.

Soumis à de nombreuses inégalités, les ouvriers immigrés revendiquent le droit à pouvoir bénéficier d'un salaire égal entre travailleurs français et immigrés. La revue Droit et liberté (novembre, décembre, 1968) relate le témoignage suivant : « Les Portugais sont moins bien payés que les Français […]. Un camarade, qui avait fait les mêmes heures et au même tarif, avait reçu 1030 francs et moi 570 francs ». Ils revendiquent également le droit à pouvoir bénéficier d'une carte de travail dès l'embauche leur permettant de changer d'employeur1. Enfin, ils dénoncent les manquements en matière de formation des travailleurs immigrés. En effet, les statistiques officielles de 1972 ne comptabilisent que 92 000 travailleurs immigrés sur 2 millions d'actifs ayant été touchés par des actions d'alphabétisation ou de formation.

 

Pour en savoir plus, consultez l'exposition virtuelle « Regards croisés France-Allemagne : les immigrés dans l'histoire ouvrière et sociale, 1968-1990 ».

 

 

Revendiquer de meilleurs conditions de travail : témoignages

La commission des finances de l'Assemblée nationale effectue un bilan statistique le 10 décembre 1976 mettant en exergue un taux d'accidents graves supérieurs pour les travailleurs immigrés. Dans la métallurgie notamment, 4,35% des travailleurs immigrés ont été victime d'accidents graves pendant l'année contre 0,88% des travailleurs français.

 

Il est possible de trouver des extraits de témoignages d'ouvriers immigrés en consultant le fonds d'archives numérisés de Saïd Bouziri, comportant de nombreux tracts, affiches, autocollants et manuscrits en lien avec les luttes des travailleurs dans les années 1970 à 1990. En voici quelques extraits, reflétant notamment l'insalubrité des conditions de travail conduisant à de nombreux accidents pour les ouvriers :

 

  • Description des ateliers des retoucheurs sous pilon aux forges par un ouvrier de Citroën, lettre, [1970] :

« Dans l'atelier, les machines ont quelques dizaines d'années ; il y a une couche de crasse partout de un an, avec la graisse, l'huile, la poussière. Les machines ne sont jamais nettoyées. […] Dans l'atelier, il y a des fois où on ne voit pas à dix mètres, par manque de lumière et la fumée en plus. […] Quand on passe sous le pilon, on se met un chiffon sur la tête, parce que sinon on a plein d'huile sur les cheveux. On a une visière, et quand on passe sous le pilon pour s'allonger sur la matrice, on met deux sacs à pommes de terre parce que la matrice est à 150°. Pour passer sous le pilon, pour pas qu'il retombe quand on est dessous, les gars mettent une cornière et en plus, moi je mets un petit verrin. Le marteau donc repose sur la cornière et le verrin, qui repose sur l'enclume .»

 

« Ces travailleurs sont sous un contrat qui précise que le patron doit fournir le logement. Jusqu'au 16 décembre, ce « logement » était un garage au toit de bois et de paille où étaient installés, à côté des camions, des lits superposés. Durant leur travail, ce garage a brûlé, avec leurs affaires et leurs économies. […] Le patron les a alors relogés dans une serre non chauffée. […] Le froid et l'humidité les a empêché de dormir toute la nuit ».

 

Pour aller plus loin dans la découverte de témoignages, consultez la campagne d'archives orales « Histoire et mémoires de l'immigration : mobilisations et luttes pour l'égalité, 1968-1988 » de Génériques.

 

 

Focus : manifestations contre les circulaires Marcellin-Fontanet

Les circulaires Marcellin-Fontanet vont être mises en application en 1972. Elles soumettent le droit des étrangers à pouvoir s'établir en France à plusieurs conditions : obtenir un contrat de travail et pouvoir attester d'un logement décent. La mise en application de ces circulaires plongent une grande partie des résidents étrangers dans l'illégalité, devenant ainsi expulsables du territoire à tout moment. En réaction, de nombreuses grèves de la faim se déploient sur le territoire français pour dénoncer les expulsions d'étrangers et revendiquer l'obtention de papiers.

 

Le journal du Comité de défense des droits et de la vie des immigrés de 1972 relate le témoignage suivant : « Je n'ai aucune garantie et je peux être arrêté par la police à n'importe quel moment. Je suis obligé de vivre dans la clandestinité. Je ne connais à Paris que ma chambre à l'hôtel et le boulot ; c'est le seul moyen d'échapper au contrôle de la police. Cela fait deux ans que je suis dans cette situation. La police m'arrête le 25 août 72 vers 8 heures du matin pour contrôle d'identité. J'ai subi un interrogatoire. Après quoi on m'a donné un avis de quitter le territoire français du 25 août jusqu'au 4 septembre. »

 

Paru en février 2018.

 

1Extrait d'une lettre de 13 travailleurs tunisiens à la direction de Citroën, 20 février [1975] :

 

« Nous avons été embauchés en Tunisie par l'ONI et Citroën avec les promesses de cartes de travail un mois avant la fin de notre contrat de travail de 6 mois. Nous avons passés des tests pour prouver nos différentes qualifications. Arrivés en France, on nous a mis OS montage. Et ce n'est qu'au bout d'un mois et demi, après protestation de notre part, que nous avons obtenu notre carte de séjour d'un an. Sans elle, nous étions en situation irrégulière vis-à-vis de la police. Notre contrat expire le 28 février. Malgré toutes nos démarches auprès de nos contre-maîtres et chefs d'ateliers, on refuse de nous donner le papier d'emploi nécessaire pour l'obtention de la carte de travail. Si nous n'obtenons pas de carte de travail d'ici le 28 février, nous serons tous refoulés en Tunisie. Sans carte de travail, nous ne pouvons trouver un employeur pour nous embaucher. C'est parce que si nous avons notre carte de travail, Citroën a peur que nous fassions valoir nos diplômes et nos certificats.»

 

Mots clés : 
Partagez cet article
Commentaires

Seuls les utilisateurs identifiés peuvent laisser un commentaire.

Me connecter à mon compte