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Le Mesnil-Amelot. Construire Roissy : les travailleurs étrangers

  • Date :

    Vers 1970

  • Notice historique :

    Avant son inauguration en 1974, la construction de l'aéroport de Roissy, situé à la frontière de trois départements (Val-d'Oise, Seine-Saint-Denis et Seine-et-Marne), bouleverse la vie des villages alentours. Les communes avoisinantes doivent céder une grande partie de leurs terres, 800 des 1.300 hectares de Roissy par exemple. Le Mesnil-Amelot abandonne la moitié de sa superficie au projet d'aéroport et, près du village historique, un autre village artificiel destiné aux travailleurs de Roissy réunit progressivement près de 1.200 personnes, en majorité des étrangers. Ces effectifs constituent une grande partie des ouvriers du chantier qui interviennent sur la construction des aérogares, des pistes, des tours de contrôle et des autoroutes. Lors des travaux, le chantier de Roissy est alors le plus grand chantier industriel en Europe.

    Ce que l'on appelle le «camp» est créé en 1967 et situé à quelques dizaines de mètres du chantier. Il se compose de deux espaces: une série de longs pavillons, logements collectifs destinés majoritairement aux ouvriers célibataires, et un ensemble de pavillons préfabriqués sur pilotis, sorte de bungalows qui accueillent, parfois durant plusieurs années, les familles des chefs d'équipe et conducteurs d'engins. Les pavillons appartiennent à l'entreprise publique créée pour la construction de l'aéroport et comprennent des chambres rudimentaires à deux lits. Une rue principale est bordée de pavillons dits administratifs: le bureau des gardiens, l'infirmerie, une antenne de la Sécurité sociale et des Allocations familiales, une salle de restaurant et de la coopérative, des salles de télévision et de jeu. Le camp est mis en place par les Foyers du bâtiment (l'ADEF) et géré sous le contrôle d'un centre inter-entreprises qui regroupe toutes les entreprises du chantier. Le coût du logement qui comprend l'hébergement, le chauffage, le blanchissage, l'utilisation des salles de douches et de loisirs revient à 7 francs, pris en charge directement par les entreprises qui règlent directement le séjour de leurs salariés à l'ADEF. En 1972, ce foyer patronal compte environ 360 Algériens, 410 Portugais, 200 Tunisiens et Marocains et 40 Français. Une vingtaine de familles de travailleurs portugais s'est aussi installée au village après une période de résidence dans le foyer.

    La vie quotidienne est dominée par une série de règles qui imposent une discipline jugée sévèrement par les résidents: en particulier, aucune femme extérieure au foyer ne pouvait entrer. Les dysfonctionnements de l'assistance médicale sont aussi reprochés aux employeurs négligents, comme le déclare un ouvrier:

    «Lorsqu'il y a un accident sur le chantier, il faut attendre parfois un bon moment l'ambulance.»

    La rigueur des conditions de travail pèse lourdement sur la vie quotidienne des travailleurs: le volume horaire hebdomadaire approche les 50 heures, la pénibilité du travail sur ce chantier gigantesque et l'absence de véritables loisirs condamnent les salariés à l'isolement. Des tentatives d'alphabétisation sont entreprises mais de manière désorganisée et intermittente et aucun organisme extérieur à l'ADEF, politique, syndical ou bénévole, n'est autorisé à pénétrer dans le camp. Le samedi et le dimanche, des cars conduisent ceux qui le souhaitent vers Paris mais l'éloignement du site interdit tout développement durable de relations sociales.

    Même si la cohabitation avec les habitants du Mesnil-Amelot se déroule sans difficulté notable, la méfiance entoure cet afflux soudain d'une population nouvelle. Un exploitant agricole témoigne de ces inquiétudes:

    De ce que je vais vous dire, ne tirez pas la conclusion que nous sommes racistes. Personne au village ne se plaint, et n'a à se plaindre des habitants du camp. Et autant vous dire qu'il y avait des craintes au départ. Ce que je veux dire, c'est seulement qu'il n'y a pas de raison qu'un village comme le nôtre, qui n'avait rien demandé, supporte les inconvénients de Roissy sans en tirer aucun avantage.

    L'idée que la présence de ces travailleurs étrangers pose des «problèmes» et des «inconvénients» et n'apporte que des désavantages est alors une idée courante dans la France du début des années 1970. La mairie fait connaître le «coût» occasionné par cette présence: les frais assumés par l'école municipale qui accueille les enfants scolarisés, les frais de nettoyage et le coût des installations sanitaires et d'évacuation de l'eau. Surtout, l'augmentation du nombre des ouvriers entraîne la création d'une aire d'accueil de caravanes: comme à Roissy où 50 places sont installées dans un caravaning, le Mesnil-Amelot accueille, dans plusieurs parcs aménagés, des dizaines de caravanes qui appartiennent généralement aux chefs d'équipe et conducteurs d'engins. Ce mode de vie contraint par les conditions exceptionnelles du chantier de l'aéroport est parfois mal vécu par les habitants de ces logements à la fois provisoires et durables. Au fur et à mesure de l'achèvement des travaux de l'aéroport, ces installations, foyers et caravanings, sont progressivement démantelées.

    Le 13 mars 1974, un Boeing 747 de la compagnie américaine TWA en provenance de New-York se pose, pour la première fois, à Roissy Charles-de-Gaulle, sur les pistes construites par les travailleurs étrangers du Mesnil-Amelot.

  • Sources complémentaires :

    Sources

    AN,19820642/12, Trac 28541 (1A862), Direction générale de l'aviation civile, IV. Le Mesnil-Amelot: correspondance relative à l'installation momentanée des ouvriers d'Aéroport de Paris et de leurs familles, pendant la construction de l'aéroport de Roissy (1972).

    Archives départementales du Val d'Oise, ADVO, 2238W 1-8, Projet d'extension de l'aéroport de Roissy (1994-1998).

    ADVO,622W 47-48, Nuisances sonores de l'aéroport (1971-1980).

    AD77,4/691, Rapport du Groupe de Travail "Paris-Nord" constitué par lettre du 1eroctobre 1969 de M. Le Ministre chargé du plan et de l'aménagement du territoire et M. le Ministre de l'équipement et du logement. Étude pour le futur aéroport de Roissy-en- France, 1970, 1 dossier, 6 fascicules.

    AD77,3610W134, Équipement. Groupe de travail Aéroport de Paris, plan de masse aéroport de Paris-nord (1966).

    «Chelles-les-Coudreaux, cité de transit: les immigrés y sont en train de recréer une sorte de communauté. De nombreux problèmes se posent», La Croix, 7-8 septembre 1975

    MEUNIER,Paul, «En bordure du chantier de Roissy-en-France. Le Mesnil-Amelot, un village de 600 habitants qui apprend à vivre avec 1200 immigrés», La Croix, 8 mai 1972.

    Image :Jean-Jacques Moreau, Vue panoramique du foyer de travailleurs du Mesnil-Amelot, Tirage photographique, 13x18, 1969 Aéroports de Paris.

  • Références :

    AA.,VV.,Roissy-en-France 1967-1970. Aéroport de Paris-Nord, Cergy-Pontoise, Conseil général du Val-d'Oise, s.d., 134p.

    AA.,VV.,Le pays de France: 40 ans de mutations 1953-1993. L'impact de Roissy-Charles de Gaulle, Paris, Région Île-de-France, 1994, 199p.

    ANDREU,Paul, J'ai fait beaucoup d'aérogares. Les dessins et les mots, Paris, Descartes et Cie, 1998, 157p.

    CORVISIER,Jean-Claude, ROUXEL,Jean-Marc, Roissy-en-France, Le Mesnil-Amelot, Saint-Cyr-sur Loire, A. Sutton, 2002, 128p.

    MATHIEU,Anna, L'impact économique de l'aéroport de Roissy Charles de Gaulle sur le Val-d'Oise, Cergy-Pontoise, Conseil général du Val-d'Oise, 2002, 117p.

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