Savigny-Le-Temple. Les travailleurs agricoles et saisonniers belges autour de 1900
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Date :
Vers 1900
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Notice historique :
Au début du XIXe siècle, de grandes fermes sont constituées en Seine-et-Marne et peuvent s'étendre sur des superficies de plus de 300 hectares. La culture de la betterave destinée à la production du sucre ou du fourrage domine notamment l'agriculture dans cette partie de la région parisienne. Lors des récoltes et pour le traitement des denrées, ces grandes fermes nécessitent une main d'Suvre importante et peu coûteuse recrutée majoritairement parmi les populations immigrées.
La ferme du Coulevrain située à Savigny-le-Temple témoigne par exemple de l'essor des grandes fermes réparties autour de la forêt de Sénart et du recours à de nombreux saisonniers étrangers, en particulier belges. À la fin du XIXe siècle, la modernisation des équipements aboutit à la constitution d'une entreprise agricole située au centre d'un domaine de près de 400 hectares: autour des anciens hangars céréaliers, de la laiterie-fromagerie et des écuries, la ferme est agrandie et diversifie ses activités autour d'une nouvelle bergerie, d'une bouverie (étable à bSufs) et d'une distillerie construite en 1889. La culture intensive de la betterave à sucre conditionne ainsi le fonctionnement de vastes entreprises agricoles qui recourent à de nombreux saisonniers.
Issus majoritairement de la Flandre, le long de la frontière, les travailleurs agricoles belges souffraient du surpeuplement rural en Belgique et venaient rechercher du travail en France et dans les exploitations qui bénéficient de l'essor économique de la région parisienne à la fin du XIXe siècle. Les ouvriers agricoles étaient organisés en «équipes» guidées par le «ploegbaes», le chef d'équipe, qui connaissait les démarches à suivre et les patrons français chez qui il retourne travailler après avoir formé son équipe en conséquence. Employés surtout dans les travaux les plus pénibles, la majorité d'entre eux sont briquetiers, bineurs ou arracheurs de betteraves ou de lin, ouvriers de sucrerie ou de distillerie. Chaque campagne dure quarante jours en moyenne mais certains saisonniers peuvent être employés plusieurs mois. La plupart vivent sur les provisions amenées de Belgique et ramènent chez eux l'intégralité des salaires gagnés. Avant 1914, on évalue à près de 40.000 le nombre d'émigrants temporaires dans les Flandres belges qui traversent la frontière, parfois plusieurs fois dans l'année. Ces flux sont si importants que le gouvernement belge juge judicieux d'ouvrir un consulat à la Ferté-sous-Jouarre, près de Meaux.
L'accueil de ces travailleurs n'est pas toujours exemplaire: les syndicats constitués dénoncent les méthodes discriminatoires utilisées par les services administratifs. Ils sont accusés de concurrencer les saisonniers français, notamment bretons. Appelés «Piqueteurs», en référence à la courte faux qu'ils transportent pour faucher et abattre le blé, ou «Aoûteux», parce qu'ils viennent lors des mois d'été, ils sont parfois payés à la pièce et mis à dormir dans des granges. Des articles de presse dénoncent leurs mSurs jugées grossières:
Debout avant l'aube, leurs lames affûtées, ils travaillent jusqu'au brun soir. Les pieds chaussés d'épais sabots, pour éviter d'être blessés par les ricochets de leur faux, ils vont, les reins courbés, sous les feux du soleil d'août. Les uns sont nus jusqu'à la ceinture; d'autres, pour se donner une sensation de fraîcheur, glissent un crapaud dans leur poitrine, entre la chemise et la peau.
Au début de la Première Guerre mondiale, l'exode de civils belges qui fuient l'avancée allemande conduit de nombreux réfugiés vers la Seine-et-Marne. Les réseaux préexistants de saisonniers dans la région favorisent l'installation de communautés qui comptent parfois plusieurs dizaines de personnes dans certains villages, tous engagés dans les travaux agricoles durant la guerre. Des liens historiques relient ainsi la Belgique aux territoires ruraux de la Seine-et-Marne et ces migrations ont fortement contribué à l'essor des activités agricoles dans le département, surtout avant la Première Guerre mondiale et jusqu'au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, avant la mécanisation de l'agriculture qui a mis fin à ces migrations saisonnières.
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Sources complémentaires :
Sources
AD77,121J, Fonds Robert Flichy, propriétaire de la ferme d'Éprunes à Réau, de 1908 à 1918.
AD77,10R2, États imprimés des réfugiés belges faisant connaître la résidence actuelle des personnes évacuées.
AD77,M7026, Étrangers. Réfugiés et évacués belges, enquêtes.
Image :Auteur inconnu, «Les piqueteurs belges qui viennent louer leurs services en France pour la moisson», Gravure, 18x23, parue dans Le Petit journal Supplément illustré, n°919, 28juin 1908, Bibliothèque nationale de France.
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Références :
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HUBSCHER,Ronald, L'immigration dans les campagnes françaises (XIXe-XXesiècles), Paris, Odile Jacob, 2005, 478p.
LACOUR,Virginie (dir.), Écomusée-ferme du Coulevrain, ancienne Grande Ferme de Savigny-le-Temple. Histoire et architecture, Savigny-le-Temple, Écomusée-ferme du Coulevrain, 2012, 20p.
LENTACKER,Firmin, «Un type de main d'Suvre agricole en régression dans la France d'aujourd'hui: les saisonniers belges», Revue d'histoire économique et sociale, vol.29, n°1, 1951, pp.26-31.
PLANCKE,René-Charles, La vie rurale en Seine-et-Marne, 1853-1953, Dammarie-les-Lys, Amattéis, 1982, 255p.
PLANCKE,René-Charles, Histoire de Seine-et-Marne: vie paysanne du Moyen Âge au début du XXe siècle, Le Mée-sur-Seine, Amattéis, 1986, 431p.
PONCHELET,Danièle, Ouvriers nomades et patrons briards. Les grandes exploitations agricoles dans la Brie, 1848-1938, 2vol., Paris, INRA, 1987, 488p.
PONCHELET,Danièle, «Capitalism in agriculture and labour supply: the case of Brie during the period 1850-1940», European Review of Agricultural Economics, vol.17, n°3, 1990, pp.303-316.
POPELIER,Jean-Pierre, L'immigration oubliée, l'histoire des Belges en France, Lille, La Voix du Nord, 2003, 143p.